lundi 24 décembre 2007

Tempête au milieu de la banquise


Voilà près de 20 heures que nous quittions la Baie de la Couronne, lieu de débarquement, avec 3 convois saturés de matériel. Nous devrions déjà nous reposer à Utsteinen, or seulement 70km ont été parcouru depuis la mer. Cinq jours sans se laver, dix jours presque sans sommeil, vingt heures sans manger et la tempête hurle tout son content.
Jusqu’à présent la progression était lente, mais au moins on avançait. Après le plein des tracteurs d’à peine 20 minutes, les convois sont ensevelis sous la neige. Les pilotes mettent la gomme, les machines pivotent de gauche à droite, les trente tonnes de matériel s’arrachent à la neige puis s’arrêtent dans un nuage de poudreuse quelques mètres plus loin. Ca y est, cette fois-ci c’est fini !
Certains sont coincés dans leur machine. D’autres, comme moi, sont dans une cabine de survie. Il faut patienter que ça se calme, mais pendant combien de temps ? Shine on You, Crazy Diamond part 6-9 passe dans mes oreilles, le vent dans l’introduction n’est que très familier avec la réalité. Gardons notre calme, pensons objectivement ; quel est le bilan ?

Il y a quinze heures, Alain Hubert tombe dans une crevasse avec la moto neige, le traîneau qu’il tirait le sauve de justesse. Le tracteur parti à sa rescousse s'enfonce à son tour dans une crevasse. Un deuxième tracteur se porte volontaire pour le sauvetage et tout le monde revient sain et sauf. La moto neige est montée sur un des traîneaux du convoi, car c'est bien trop dangereux maintenant que la visibilité est nulle et que le vent souffle à des vitesses phénoménales.

Coincés à 140 km du camp de base d’Utsteinen, la nourriture tombe à court. Tout ce qu'il reste consiste en 200 grammes de pâtes, de maigres barres chocolatées, quelques biscottes, un filet de Philadelphia, un peu d’eau. Ma radio tombe en panne, le contact avec les autres est coupé, une des cabines de survie voit son chauffage passer l'arme à gauche et la tempête pourrait très bien durer trois jours. Pour finir, un besoin presse ma vessie dans un étau mais pas moyen de sortir : je pourrais ne plus retrouver le convoi alors qu’il n’est qu’à quelques mètres à peine. Je pars à la recherche d'une bouteille vide...
Chacun connaît les risques de la mission, l’Antarctique réserve souvent des surprises et elles ne sont pas souvent bonnes. Une tempête peut surgir à tout moment, on préfère l'ignorer sans nier qu'on en a conscience. Même pas peur, ça n’arrive jamais qu’aux autres !
Manifestement pas toujours.
Une envie : parvenir au camp de base, manger, se laver un peu et enfiler des vêtements propres. D’ici là faudra copieusement prendre sur soi, économiser ce qu’il nous reste de nourriture, d’eau et prendre son mal en patience. Une fois le calme revenu, il faudra réanimer les convois coincés sous un mètre de neige, après une heure seulement ! Crime of the century de Supertramp s'écoule maintenant dans mes oreilles, il est onze heures du matin ce vingt-trois décembre 2007. Les heures et les jours suivants ne seront pas agréables.

Je me remets en quête d'une bouteille.

11h24
J’ai pris le risque de sortir... sans découvrir de bouteille. A peine le nez dehors, il me fallu me battre pour tenir la porte de la cabine ; le vent se jette sur nous à plus de 110 km/h. Je suis allé derrière un container pour me soulager, le jet se pulvérise avec le vent et le froid. Il me faut maintenant trouver l’autre convoi, c’est là qu'est entreposé le reste de nourriture et je meurs de faim ! Mes recherches n'obtiennent aucun résultat, alors qu’il ne doit pas être à plus de dix mètres de moi... Je décide d’aller parler aux pilotes de mon convoi ; je m’avance sans quitter du contact des mains le métal froid des traîneaux, je ne vois rien ! Je trébuche et tombe dans la neige ; il y a des congères de plus de un mètre de haut autour de nous. Dans le sifflement assourdissant du vent, le ronronnement vague d’un moteur diesel de 450 chevaux au ralentit se fait entendre : c'est la bonne direction. L’avant du véhicule émerge du nuage et je parviens avec difficulté à ouvrir la porte passager, bloquée par la glace et la neige. Les pilotes essayaient de dormir après une nuit blanche.
Je crie :
« Où sont les autres convois ?
- Aucune idée, on aura un contact radio à midi et on avisera ! »
Je retourne au trot dans ma cabine ; la situation se dégrade. J’enlève mes vêtements une fois à l’intérieur, tout est humide, ne sèche pas et je n’ai pas de vêtement de rechange. L’atmosphère respire le moite dans cette bulle sur-isolée. Impossible d'aérer en ouvrant la porte sous peine d’être rapidement enseveli. Il doit me rester des Mars rescapés de Cape Town dans mon sac à dos, ce sera toujours ça de pris, mon ventre commence à crier famine. Un Mars, quelques gorgées d’eau et le reste est préservé pour plus tard. Le vent ne se calme pas, au contraire. La cabine se prend à trembler, au point que j’ai des difficultés à écrire. Je vais essayer de fermer un peu les yeux, le temps passera plus vite.


16H55
Une réunion de crise vient de se terminer dans une cabine de secours d’un des trois convois, à peine à une centaine de mètres. On s'est repéré grâce aux GPS. L’autre convoi attend sur notre gauche, à huit mètres. Les participants à la réunion sont partis encordés à notre tracteur, tels des explorateurs et leur fil d'Ariane pénétrant dans le labyrinthe du Minautore. Alain, Philippe le commandant et Daniel le guide de haute montagne font le point. Alain est pris de court, ce genre de situation n’a pas été envisagé. Il veut rester sur place jusqu’à l'accalmie, mais d’après les dernières nouvelles, ça ne sera pas le cas avant trois jours. L’état des tracteurs se dégrade, une des trois cabines de survie s’est remplie de neige, nous somme treize et n’avons presque rien à manger. Le commandant refuse cette idée, trop éprouvante pour le moral des troupes, surtout pour la Noël ! Il propose l'abandon d'un convoi sur place, partir avec les deux autres et les trois tracteurs, celui sans traîneau apportera son soutien à ceux en difficulté. Cette idée est directement adoptée. Les mécaniciens redémarrent le tracteur en panne et l'expédition repart dans la tourmente.
Nous sommes au beau milieu d’une tempête comme il n’y en pas souvent. Cette traverse restera gravée dans l’histoire de la construction de la station et j’en fais partie !

22h21
Cela avance bien ... jusqu’à maintenant ! Il y a une dizaine de minutes, la cabine de survie a littéralement été retournée dans tous les sens. Le convoi s’arrête, Daniel ouvre et nous demande si tout va bien, il nous explique que nous venons de passer sur une crevasse de 2m20 de long, alors qu’en théorie les machines ne savent passer que 2m maximum. On nous avait pourtant assuré que la zone crevassée était derrière, qu’à partir de maintenant ce serait une partie facile. A-t-on dévié de notre route ? Certainement oui, sinon on aurait découvert cette crevasse lors des reconnaissances ! Je ne sais pas très bien ce qu'il se passe. Alain et Daniel marchent devant pour détecter d’autres crevasses, ne savent-ils pas où ils sont ?
Je commence vraiment à être exténué, j’ai besoin de manger, la seule chose que j’ai pu me procurer depuis plus de trente heures consiste en un bout de fromage malade, quelques cracottes, ce pauvre morceau de Philadelphia et mon Mars bien sûr. Aussi, de ma vie je ne me suis jamais senti si sale !

On repart, ça tape dans tous les sens, plus moyen d’écrire, on doit être sur de la glace.

Image courtesy of Polar Foundation

Un peu plus tard :
Je suis dans le tracteur de support aux côtés de Daniel. La visibilité s’améliore doucement, le vent se calme un peu. De temps à autre, il faut sortir, accrocher les élingues et tirer un convoi enfoncé dans la neige.

9h00 du matin, 24 décembre
La radio crachotte vaguement « ici base camp, pouvez-vous nous entendre ? ». Nous y sommes !!! Encore dix kilomètres, une heure et on y sera.
Nous sommes donc arrivé ce matin vers 10h, après 42 heures d’enfer. Ces lignes furent couchées durant le voyage, je les retranscrit à l'instant. Ce soir nous fêterons Noël au chaud au magnifique camp de base d'Utsteinen.

Le décor est fabuleux. Le confort, aussi relatif soit-il, étonne à cause de l’endroit. J’ai commencé par manger voracement, puis me prendre une tente, l’arranger, creuser un peu à l’avant pour pouvoir m’habiller debout et monté de petites marches en bois pour descendre dans ce trou, bref, je me suis installé. J'ai pu me laver et enfin écrire ce mail qui partira ce soir je l’espère. D’après les habitués, l’ambiance est très bonne, la nourriture excellente, par contre les moyens de communication réduits.

Je vous souhaite à tous un très joyeux Noël ! Je suis certain que le mien sera agréable ; enfin un minimum de confort.

Tout gros bisous à tous et à de prochains mails.

Image courtesy of Polar Foundation

1 commentaire:

bélou a dit…

Bonne année

Bélou